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CONTES. — PREMIÈRE SÉRIE

mante. Il me suffit de la voir pour que son image ne cessât de se superposer aux petites feuilles menaçantes dont je gratifiais messieurs les contribuables. Et la chance voulut qu’elle n’eût guère à choisir qu’entre Jacques de Meschien, le fils du hobereau, et moi-même. Or, Jacques était brèche-dent, bec-de-lièvre et bancroche au point que, même lorsqu’il joignait les talons, un chien de bonne taille pouvait passer par l’ouverture. De plus, il manifestait à la fois une sottise prolixe et une humeur bluffeuse qui le rendaient intolérable. Quant aux fils de cultivateurs, Mariette ne pouvait plus guère s’accommoder de leurs personnes, non par vanité, mais parce que les hommes du terroir sont rudes et mal embouchés.

J’avais donc bien des chances, malgré ma chétive fortune. Et maître Dieutegard, me sachant de l’avenir dans l’administration et des « espérances », laissa faire le sort. Cette lumineuse Mariette m’accueillait sans défaveur. Elle était naturellement judicieuse, quoique tendre, et se méfiait des surprises. Physiquement, je n’étais pas désagréable. Pas très beau, non, mais bien planté, les yeux clairs, les cheveux drus, et assez élégant. Par surcroît, j’ose le dire, un caractère supportable : pas querelleur, pas tatillon, pas encombrant et de nature joyeuse. Un bon loulou.

Jour par jour, je fis mon chemin dans le cœur de la jolie fille. Le jour vint où nous célébrâmes nous-mêmes nos fiançailles. C’était à l’automne.