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AU FOND DES BOIS

Nous étions sur la route du bois de la Hesbaigne, un antique bois de chênes où l’on mène encore les porcs à la glandée. L’heure était indécise et féerique. À travers des nuages de lait et de perles passaient, par intermittences, de grands rais tièdes. Nous cheminions dans un paysage de vieille France, émus de tous les songes de la jeunesse. Timidement, j’avais pris la main de Mariette. Elle ne l’avait pas retirée. Pour la millième fois je tâchais de définir la douce préférence qui me gonflait le cœur, et elle, pour la première fois, s’appuyait contre mon épaule. Enfin, à l’ombre des grands chênes, nos bouches se dirent ce que des milliards de bouches se sont dit depuis l’origine des hommes. Puis Mariette voulut être seule. Elle était confuse. Elle n’osait plus me regarder.

— Venez ce soir, dit-elle… mon père vous attendra.

Il fallait lui obéir. Je m’en fus vers les futaies profondes, l’âme aussi triomphante que si j’avais fait la conquête de la Chine. Je me souviens de m’être assis, littéralement « recru de bonheur », sur la racine d’un chêne centenaire.