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Page:Rosny aîné - La Mort de la Terre - Contes, Plon, 1912.djvu/268

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CONTES. — PREMIÈRE SÉRIE

teresse nous séparait du reste du monde, — et nos deux pelouses, le peuple étincelant de nos parterres, notre léger ruisseau palpitant entre des rives embaumées de menthe, d’iris, de lis… C’était bien le petit refuge de tous les rêves, l’île de Robinson ou la terre féerique de Rama. Ce bonheur s’évanouit le jour où notre petit Georges dut s’aliter. Le mal, rapide et furieux, dévorait l’enfant d’heure en heure. Nous avions fait venir Debrême, puis Potain, dont ma femme est une vague cousine. Ces maîtres déployèrent toute leur science ; ils demeurèrent impuissants. Un jeudi, vers le crépuscule, après une consultation, Debrême me tira à l’écart et murmura (il était un peu brusque) :

— Tout est fini… L’enfant ne verra pas le matin.

Potain, qui, par compassion, n’eût pas de lui-même prononcé la sentence, hocha la tête en signe d’acquiescement.

— N’y a-t-il plus rien à faire ? m’écriai-je avec désespoir.

— Il n’y a plus rien à faire, non… plus rien ! répliqua tristement Potain… Peu de souffrance, d’ailleurs… Une simple extinction !

Je les laissai partir, et, terrifié à la pensée de revoir ma femme, je rôdai au bord de la rivière… Quelle tentation de me jeter dans l’eau claire, d’oublier la souffrance dans le rêve insondable du Nirvana !… Le crépuscule commençait de brosser