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LE VIEUX BIFFIN

Sur quoi ils se reluquèrent. Justement, l’ancien eut le bon sens de se taire. Par surcroît, la foule ne fit aucune de ces sottises qui indisposent les sergents de ville.

Alors celui de gauche eut un gros rire et celui de droite se tordit. Deux bottes d’ordonnance donnèrent un léger renfoncement au derrière du biffin, qui se sauva comme un vieux lièvre.

Je le retrouvai au bar du Grand Moka, où il avait eu la sagesse de se commander un simple siphon d’eau de seltz. Il gueula :

— Vous croyez peut-être que vous n’aurez jamais vot’récompense ? Vous l’aurez, que je dis… Ceusses de maintenant disent qu’y a plus personne là-haut, mais moi je sais qu’il y est toujours. Et vous verrez bien !

Cinq ans coulèrent. Le biffîn oscillait davantage ; sa ressemblance avec un squelette devenait tellement extraordinaire que les femmes enceintes, l’apercevant à distance, se hâtaient de prendre un chemin de traverse. Nous nous parlions toujours : il ne m’entretenait plus de 1848, ni même de 1840. Il retombait au temps de son enfance, sous le règne du bon roi Louis XVIII. Mais il n’avait aucunement oublié que je l’avais tiré du poing des roussins. Seulement, il reportait cet acte de sauvetage à plus de vingt ans en arrière.

— Pas peur ! affirmait-il. Votre affaire est inscrite là-haut, chez le Dieu des bonnes gens.