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Page:Rosny aîné - La Mort de la Terre - Contes, Plon, 1912.djvu/292

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CONTES. — DEUXIÈME SÉRIE

cendres, qui jetaient de-ci de-là une flammèche, puis il s’approcha à pas lents. Il me parut formidable, surtout lorsque, arrêté devant moi, il abaissa son nez en bec de faucon et montra ses dents étincelantes.

— J’ai faim ! dit-il.

Sa voix était creuse, mais assez douce. Il s’assit devant le feu, me regarda fixement et demanda :

— Tu n’as jamais eu faim, toi ?

— Souvent ! répondis-je.

— À l’heure des repas ?

Je fis oui, d’un signe de tête ; il eut un rire âpre comme un croassement. Du reste, il ne m’effrayait plus. Parce qu’il causait et ne faisait aucune menace, mon âme d’enfant se rassurait.

Car je ne voyais qu’une différence médiocre entre un rôdeur et un chien, et je savais que tout chien qui s’installe tranquillement est par cela même pacifique.

— Ce n’est pas de cette faim-là que je parle, reprit l’homme, c’est d’une faim qui dure depuis des semaines. Ainsi, moi, c’est à peine si j’ai fait un petit repas par jour, depuis l’autre dimanche… et je n’ai rien pu me mettre sous la dent depuis hier matin.

À ces mots, de consternation, je laissai tomber ma pomme de terre. J’aurais vu couler du sang que mon trouble n’aurait pas été plus grand.

— Depuis hier matin ! criai-je.

J’avais peur qu’il ne s’écroulât sur le sol et qu’il