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POMMES DE TERRE SOUS LA CENDRE

ne mourût devant mes yeux, comme un naufragé de la Méduse.

— Alors, tu comprends, murmura-t-il, si tu voulais bien me prêter une ou deux pommes de terre, ça me rendrait du courage.

Cette demande me fut étrangement agréable et me donna même une espèce d’orgueil.

— Vous pouvez les manger toutes ! ripostai-je.

La face de l’homme se crispa ; un peu d’eau, qui parut sur ses yeux, les rendit plus brillants.

— Toutes ? fit-il d’une voix rauque.

— Seulement, observai-je, il ne faudra pas manger trop vite… car, dans votre état, ça vous ferait du mal !

En même temps, je lui tendais la première pomme de terre, avec le cornet de sel. Il la mangea plus vite que je n’aurais voulu ; mais, comme il n’avait pas l’air de s’en trouver plus mal, je lui en tendis une deuxième. Elle était si chaude que, malgré sa faim, il dut la laisser refroidir. Dès qu’il en eut mangé une troisième, il dit :

— À ton tour, maintenant !

— Non ! dis-je résolument. Tout à l’heure, je m’en ferai d’autres.

Il insista, mais j’étais plein d’un sentiment si extraordinaire de mon importance que je n’avais plus le moindre appétit : j’aurais eu de la peine à avaler une bouchée.

Il dévora donc un à un mes tubercules, but un coup à la bouteille d’eau que j’avais emportée