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CONTES. — DEUXIÈME SÉRIE

Il acheva la lecture, et de grosses larmes ruisselèrent sur ses joues.

— Nous ne sommes plus ruinés ! balbutia-t-il. Il y a un amateur pour nos terres, qui offre de les payer soixante mille francs de plus que Blanchard, Duprat et Ginguelaud…

Il me saisit contre sa poitrine et m’étreignit avec la joie terrible qui suit les catastrophes évitées. Puis il se précipita dans la chambre voisine pour rédiger une réponse. C’est alors seulement que je m’avisai que je n’avais pas lu ma lettre. J’examinai d’abord la suscription : elle était d’une grosse écriture, à la fois rude et hésitante. Quand j’eus ouvert le pli, je ne vis que trois lignes :

Je vous avais promis de vous rendre vos pommes de terre… Et je voudrais aussi vous revoir, là-haut, où je vous attends.

Je tournai et retournai la lettre, abruti d’étonnement ; puis, poussé par l’inconscient, je sortis de la ferme, je gravis précipitamment la côte… Tout à coup, je revis l’homme. Il avait à peine changé ; c’était toujours son air sauvage, sa barbe d’Arabe, couleur goudron, ses joues creuses et ses yeux hardis. Mais un confortable complet bleu vêtait sa haute structure, et au lieu d’une trique il tenait une canne d’ébène à pomme d’or

— Vous voilà ! s’exclama-t-il avec une joyeuse rudesse… J’ai fait fortune !

Il me saisit la main et la secoua, comme l’après-midi d’octobre, puis il me déclara :