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CONTES. — DEUXIÈME SÉRIE

petit marché. J’avais fait sa connaissance pour l’avoir tiré d’une rivière, où il était en train de boire une tasse trop copieuse. Il tint que je lui avais sauvé la vie, il me prit sérieusement en affection. J’allais le voir parfois, je ne me déplaisais pas en sa compagnie : il avait un esprit bizarre, voire original, et une extraordinaire connaissance des hommes. Cette année-là, il s’aperçut vite de ma mélancolie. Il ne m’interrogea point, mais il me surveilla et, un après-midi que je soupirais, il soupira plus fort que moi, s’écriant : « Malheureux garçon ! qu’est-ce que vous avez fait là ?… C’est comme quelqu’un qui s’en irait lui-même se chercher le choléra ou la petite vérole !… »

Toute douleur a besoin d’un confident. Celui-là s’offrait : je m’en contentai. Il m’écouta tant que je voulus. Il tournait ses yeux jaunes d’un air désolé et il finissait toujours par dire :

— Il n’y a rien à faire !… Et puis, c’est juste : il serait abominable que ces gens donnent leur fille à un homme qui n’a presque pas le sou !

Puis, il ajoutait :

— C’est égal…, je voudrais bien tenter quelque chose pour vous…, mais là, quelque chose qui ne coûte rien !…

Cette idée le tracassait. Il répétait à voix basse, désolé :

— Quelque chose qui ne coûte rien !

Les jours suivants, il demeura rêveur, et il reparla plusieurs fois encore du plaisir qu’il aurait