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L’AVARE

dans le jardin des Hespérides. Les filles de la Nuit et de l’Érèbe, avec le Dragon, veillaient sur elle, ou, pour parler simplement, Claire avait cent mille francs de rente et le double d’espérances. Munie de parents solides et ingénieux, comme des serrures de chez Fichet, elle était à l’abri des gens de ma sorte. Je me le disais chaque jour, — mais je ne m’écoutais point. Et j’allais parmi les hêtres du coteau et parmi les coudriers de la rivière, pour voir passer cette petite forme étincelante…

J’avais un ami à Cissey-les-Rouvres. C’était un vieux célibataire, sordide et graillonneux, qui vivait justement dans une aile du château de Philippe-Auguste. Il y vivait solitaire, sans crainte, car, de mémoire d’homme, on n’avait vu de bandits dans le canton. Ce personnage jouait à Cissey le grand premier rôle d’avare. Toutefois, il ne pratiquait pas l’usure et, par conséquent, n’avait pas pour profession de couper la chair des chrétiens. Il spéculait seulement, sur les terres, sur les denrées, avec une habileté prodigieuse ; il ne possédait pas moins de six à sept millions. Jamais cet homme ne dépensait un sou de cuivre. D’ailleurs, c’est à peine s’il mangeait ; quant à ses vêtements, outre qu’il les aimait immondes, il se les procurait toujours pour rien, comme appoint imprévu de quelque