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APRÈS LE NAUFRAGE

« Les circonstances me favorisèrent. Un tourbillon saisit mon épave et la maintint à peu près en place, tandis qu’une vague tangente amenait le canot à peu de distance. Je vis l’homme ramer désespérément ; il fut à quelques brassées, puis tout proche. Et, dans la fureur des météores, il réussit à me hisser dans sa coquille.

« — Ça y est ! hurla-t-il… La « veigne » est pour nous… je la sens ! Du « nerve » !

« C’était un type au visage berbère, les cheveux plats, le nez en cimeterre, et qui, lorsqu’il riait, montrait des dents de chacal. Il s’était remis à ramer. Une fureur héroïque crispait ses lèvres. Par moments, il poussait une clameur ou une injure :

« — Pécaïre ! Rosse de mer… Pas peurr. Quand on a peurr, elle vous mange… Va donque, bougresse !

« J’étais inerte. Une paix extraordinaire m’était venue. Je me sentais comme débarrassé de ma personne. Cet homme avait pris mon sort en charge.

« Cependant, la côte approchait. Elle était hérissée de falaises, pleine de pièges, mais on apercevait aussi une longue plage qui nous faisait face.

« — C’est là qu’il faut arriver, ricana l’homme ; si onn se fout contre la falaise, il y aura des embêtemains ! Mais nous avons la veigne !