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CONTES. — DEUXIÈME SÉRIE

La puissance et la sagesse humaines devenaient semblables à la puissance et à la sagesse de quelques fourmis saisies par un torrent. Le capitaine faisait ce qu’il pouvait, le pauvre bougre. Le torse lié à la passerelle, il rugissait stoïquement des ordres dans le porte-voix.

« L’heure du destin était venue. Les vieux flancs du navire craquèrent sur un écueil, l’eau souveraine saisit sa proie, et, cinq minutes plus tard, je flottais sur le désert liquide, frénétiquement accroché à une futaille vide.

« L’épouvante et la volonté se partageaient mon âme. Je croyais que j’allais mourir, mais cela ne diminuait en rien mon énergie… Ce qui finit par la diminuer, c’est que l’eau m’entra plusieurs fois par les narines ou par la bouche. J’étouffais, je sentais faiblir mes muscles, lorsque, dans un moment où la vague me soulevait, je vis la côte et, entre la côte et moi, un canot monté par un seul homme.

« Ce canot prenait à mes yeux quelque chose de fantasmagorique. Son unique occupant était-il un naufragé comme moi ? Ou — hypothèse insane — était-ce un sauveteur ?… Ces questions, vous pensez bien, passèrent dans ma cervelle en une fraction de seconde. L’instinct dominait, l’instinct qui me poussait sauvagement vers la barque.