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LE LION ET LE TAUREAU


Jusqu’à ma vingtième année, fit Mme des Jardes, j’ai habité une très vieille gentilhommière, ou plutôt la moitié d’une gentilhommière, car l’aile droite seule et une partie du corps pouvaient encore abriter des humains ; le reste ressemblait en petit à l’ancienne Cour des Comptes ; il y poussait des chênes verts, un hêtre rouge, un foresticule d’arbustes et de broussailles, une prodigieuse quantité de liserons qui argentaient les ruines jusqu’à l’automne.

Nous vivions vaille que vaille du loyer de quelques métairies et du produit de notre chenil ; mon père élevait deux ou trois espèces de chiens rares et s’y entendait à merveille. C’étaient les éléments du bonheur : nous avions, par chance, le tempérament qu’il fallait pour le sentir. Je sais que j’ai vécu là des saisons de sortilège. Le terroir donne des forêts drues comme au temps de la Gaule celtique ; des fontaines joyeuses chantent à tous les échos de la verdure ; il y a des combes