Aller au contenu

Page:Rosny aîné - La Mort de la Terre - Contes, Plon, 1912.djvu/362

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
348
CONTES. — DEUXIÈME SÉRIE

ombrageuses, de beaux étangs turquoise, des cavernes où vécurent les hommes qui taillaient dans la pierre des outils et des armes que nous collectionnionssans art, méthode ni vanité.

Pendant mes courses, je rencontrais souvent un personnage fantasmagorique. Il portait sur les épaules une longue chevelure jaune fauve, montrait un grand visage roux avec des yeux énormes, une bouche armée de canines aiguës et laissait croître à ses doigts dix griffes pointues qui eussent aisément déchiré un bélier ou même une génisse. Cet homme vivait à la corne du village, dans une grotte taillée en habitation, ainsi qu’il s’en trouve au pays, et rôdait par les bois. Il évoquait un lion baroque, comme les illustrateurs se récréent parfois à les faire pour un recueil de fables, mêlant la structure humaine aux structures de la bête. De fait, il se croyait une parenté avec les lions. Je ne sais pas très bien comment il arrangeait l’affaire. C’est le secret de sa cervelle, qui était mal aménagée, folle, avec le discernement de ce qui se peut faire et de ce qui ne se peut pas. On aurait pu l’enfermer ; de nos jours, on n’y manquerait point ; cela n’aurait servi de rien, car il était inoffensif et le resta jusqu’à la dernière heure. Quand je dis qu’il était inoffensif, je parle pour les autres, non pour moi, qui dois me féliciter grandement de ce qu’il ait vécu libre et qu’il ait eu sa manie…

Je le croisais dans les clairières profondes et je