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VI


Après la scène des cadavres, François Rougemont se mit à saper méthodiquement cet étrange territoire qui s’étale vers le sud de la Butte-aux-Cailles, depuis la rue de Tolbiac jusqu’à la poterne des Peupliers, de la rue de l’Amiral-Mouchez jusqu’à l’avenue d’Italie. On reconnaissait de loin sa silhouette. Il put mener agréablement cette œuvre de propagande qui était devenue l’essence même de sa vie. Il n’y mettait guère d’ambition : l’ambition était dévorée en lui par l’immédiat. Il recherchait la joie d’agir en personne, à la minute où il vivait avec les gens. Et cette humeur l’empêchait de devenir un des grands meneurs de la C. G. T.

Il travaillait le matin à ses reliures, devant la fenêtre ouverte sur un horizon de tuiles, de briques et de terrains vagues. Le geai Hippolyte froufroutait avec des cris, des chants, des imitations d’outils, de marchandes des rues, d’oiseaux et de quadrupèdes. Quelquefois, le petit Antoine venait s’asseoir devant les peaux fleuries, les fers à dorer, les pinces, les polissoirs, les grattoirs, les couteaux à parer et à rogner, les pots de colle. Ou bien la vieille Antoinette glissait furtive et vigilante. Il aimait ces matins ; une douce liberté enflait sa poitrine.

Et il se félicitait de faire usage de ses mains. « Car, songeait-il, c’est pour avoir refait de ses mains la nature, que l’homme est l’homme. Ceux qui ne travaillent plus de leurs mains renient la