Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/105

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

grande noblesse sociale. Et ils déclinent. C’est la raison profonde qui a fait déchoir toutes les fausses aristocraties. L’homme aux mains oisives n’est plus un homme : il redevient une bête. L’œuvre des mains est le vrai symbole des apôtres : « Je crois aux mains laborieuses, origine de notre puissance, sources de notre beauté, créatrices de notre génie ! »

À midi, il prenait aux repas un plaisir innocent et solide. De tout temps, la nourriture lui avait paru une réalité charmante. Il flairait gaiement le parfum du rôti, la fraîcheur des légumes, l’arôme profond du café ; dès le matin, il s’informait du menu. Et comme Antoinette était une cuisinière habile, il se levait du travail, lorsque l’heure sonnait aux tours prochaines, avec le sentiment d’une récompense.

Tout en humant le café, il lisotait un journal, une brochure, et rêvait. Pour son âme optimiste, cette heure était parfaite. Le geai se promenait entre les tasses ; il connaissait leur instabilité ; il savait qu’il est dangereux d’agiter ses ailes. D’autant plus prenait-il plaisir à sa rôderie. Avec un air funèbre et goguenard, il s’élançait sur le sucrier, tapotait du bec contre la cafetière, feignait de trébucher dans les soucoupes. Mais ses mouvements étaient calculés, d’une sournoiserie très exacte ; son œil oscillait de malice. Tout à coup, il s’arrêtait, jurait comme un débardeur, simulait le tambour ou chantait l’Internationale.

— C’est un homme ! s’écriait Antoinette.

— Et un homme heureux ! approuvait Rougemont.

Après le café, François continuait à rêver et à lire. Il ne sortait que lorsque les ombres s’accroissaient sur les trottoirs. Selon les caprices ou les circonstances, il passait à l’atelier, allait prendre langue à la Bourse du travail, où fonctionnait alors la Confédération générale, flânait aux chantiers du Métro, ou passait au travers de la Maison-Blanche.