Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/113

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

vague, quelque malice de poule ou une vanité démente. Sa chair coriace était plaquée sur de grands os ; il usait ses pantalons aux genoux ; ses mains étaient plates ; il pelait facilement du visage. On ne savait jamais s’il allait proférer des paroles grotesques ou presque spirituelles, idiotes ou presque fines. Ses actes révélaient la même incohérence. Il poussait des hurlements soudains ou se taisait avec opiniâtreté ; il filait à des lieues ou s’enfermait dans sa mansarde pendant des journées entières ; il mangeait goulûment ou ne voulait pas toucher à son assiette.

À la suite d’un érésypèle, ses narines s’embourbèrent et il respira avec peine. Cette infirmité contribua à le rendre inattentif ; il ne pouvait longtemps lire ni écouter ; ses idées sautelaient comme des puces ; il interrompait les gens au milieu de leur phrase pour faire une remarque qui ne se rattachait qu’à l’état capricieux de ses réflexes.


La famille Pouraille voisinait avec les Meulière. Le père Meulière était ferblantier. Il devait à sa profession un teint ferrugineux et une voix fêlée. Avec sa face agressive, ses petits yeux violents et une moustache pareille aux vieilles brosses à dents, c’était une créature ronchonneuse, qui accablait ses enfants de cris, d’injures et de préceptes. Il esquissait d’horrifiques coups de pied, mais ne frappait point. Toute sa philosophie, pleine de fatalisme, s’exhalait dans la phrase dont il terminait ses mimiques :

— C’est toujours la « même » répétition !

Cette faible créature n’opposait aux événements que des paroles. Mme Jeannette Meulière le conduisait, grosse femme appétissante, aux yeux doux et sinistres, au sexe prodigue. Elle ne se refusait à aucun des amis du ménage, et, selon les circonstances, se négociait. Au repos, près d’une cafetière