Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/120

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bien droit, la barbe en bataille. Il donnait sa recette :

— Pour les mains et la figure, je mêle une goutte de vitriol à mon eau. C’est souverain. Je dégraisse mes habits moi-même : il n’y a encore que le fiel de bœuf.

La deuxième fille des Fallandres s’étirait comme un bambou. Presque aussi frileuse que son père, elle montrait en hiver des joues violettes, avec de grands yeux de biche craintive. Flexible, frêle et presque charmante, elle était faite de matériaux délicats, rougissait pour un mot et, toute tremblante devant les hommes rudes qui passent sur les trottoirs, elle devait mourir vieille fille.


Hippolyte Gourjat, dit la trompette de Jéricho, avait reçu le don d’imiter les bruits. Tout enfant, il ne pouvait entendre une crécelle, un froufrou, un roulement, un pas, une porte qui grince, un chat qui feule ou miaule, ni l’aboi d’un chien, ni le pépiement d’un pierrot, ni aucun cri ou aucune rumeur sans qu’il tentât de les reproduire.

Avec l’âge, sa vocation se consolida ; il devint effrayant. De vieilles femmes entendaient, sur leur palier, les hurlements de leur chien moribond : aux abords de la foire, des rugissements annonçaient le lion échappé ; des concierges éperdus galopaient vers leur loge où mugissait un bœuf, aboyait un molosse, brayait un âne ; les marchandes des quatre saisons obtempéraient en tremblant à des injonctions brutales ; la corne d’un tramway invisible faisait bondir les dames asthmatiques ; on percevait, dans la nuit, les lamentations d’un homme occis par les apaches…

La voix de Gourjat possédait l’étendue, le volume et la souplesse. Elle lui assurait partout le vivre et le couvert ; toutes les noces, les fêtes, les bals, les banquets se le disputèrent ; il n’est bistro qui ne lui offrît les alcools ni restaurateur de faubourg qui ne