Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/121

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se fît une joie de le nourrir à l’œil. Mais Gourjat n’acceptait que ce qu’on peut accepter. Il ne voulait pas vivre de son talent, il le donnait. Et il gagnait galamment son pain dans la tannerie où il aurait pu passer maître, s’il avait consenti à épouser Mlle Félicie Pasquerault, fille et petite-fille de tanneurs, qui ne pouvait le voir sans aise ; mais il préféra Philippine Bertrix, jeune personne au nez puissant, aux paupières ornées de cils riches.

Elle avait son charme, qui n’était guère définissable. Elle semblait fraîche et tendait à la couperose, elle avait une bouche appétissante mais un peu tordue, elle montrait des yeux or et lapis, d’un bel orient, mais froids et d’une étrange malveillance. À aucun moment, Hippolyte ne lui en imposa. Elle avait aimé ses imitations de bêtes et d’hommes ; elle les détesta après huit jours de mariage. Lorsqu’il en essayait quelqu’une, la face de Philippine exprimait un mépris si amer que le cri expirait, gelé.

Elle domina tout de suite ; elle distillait des paroles vénéneuses, son attitude opiniâtre, insultante et avide engourdissait la pauvre Trompette. Dès le principe, elle mesura ses faveurs. Souvent, lorsqu’elle avait enfin consenti, elle proférait, au milieu de l’acte, de ces mots qui assassinent la volupté. La chose faite, elle exprimait un dégoût injurieux, elle passait une heure à se plaindre et se purifier. Dès qu’elle eut quarante ans, elle remisa définitivement son sexe ; en outre, elle accumulait, devant témoins, des allusions ignominieuses à la virilité de Gourjat, l’accusait d’infirmités gratuites et ravalait ses origines : il n’avait plus de poumon gauche ; il puait des orteils et de l’estomac ; sa sueur pourrissait le linge et ne pouvait pas même s’enlever avec de l’eau de Javel ; il faisait rancir le beurre et tourner le lait ; son père avait cassé des cailloux sur la route, un de ses oncles était mort dans un « hospice de vagabonds ».