Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/127

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alors des jardiniers, des oiseleurs, des éleveurs de poules et de pigeons.

Adrien étudia l’affaire par le détail, acheta le fonds, partie comptant, partie à crédit, et fut à deux pas du bonheur. Dans la boutique en retrait, aux petits carreaux olivâtres, on apercevait des sacs de féverolles, de pois, d’avoine, de blé, de chènevis, de millet, des oignons de jacinthe ou de tulipe, des semences dans des sachets peints de fleurs, de légumes ou de fruits, des bottillons de froment, de seigle, de sarrazin, de maïs, des herbes sèches, des racines et des tubercules. La porte était trapue, peinte en carmin et ne se fermait que le soir. Une odeur de grange régnait sous les poutres basses.

Bossange servait les bonnes gens avec agilité, habile à clore les paquets, et faisant pleine mesure. Il avait l’ouïe complaisante, le don précieux de comprendre plusieurs personnes parlant ensemble et plaisait encore par l’ajustement exact d’un costume gris roux, adapté aux poussières végétales et par un visage qui, malgré le centre trop court, entre un menton en jatte et un crâne rond, un crâne d’otarie, offrait beaucoup d’agrément, à cause de la variété des grimaces et du plus étonnant répertoire de sourires.

Ce furent des jours admirables. Adrien aimait les graines ; il fumait le soir une pipe merveilleuse, l’hiver au chaud du poêle, l’été sur son seuil, où il entr’apercevait, comme une rivière, le crépuscule coulant parmi les cheminées. D’écu en écu, il remontait vers sa caste ; les chiffres dansaient la sarabande et lui chantaient leur fable. Il commit alors une erreur funeste. Une belle fille, issue d’artisans, elle-même ouvrière, lui plut, ce qui n’était rien, car il se garda bien de le lui dire, mais il lui plut aussi et elle dressa son piège, naïf et sûr.

Il tâcha de se garer. Plutôt, quoiqu’il détestât les culs terreux, eût-il pris femme à la campagne :