Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/141

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doufle. Il sut qu’il fallait lui parler avec mesure, il l’aida patiemment à accoucher de ses phrases et, par des additions discrètes, il les complétait. L’homme-tamanoir, se voyant écouté, conçut un plaisir formidable. Ses idées confuses et ses notions brumeuses se cristallisèrent autour des doctrines syndicalistes. À mesure qu’il les concevait, il adopta chaque principe de son maître ; il fut révolutionnaire comme il eût été nationaliste, ou même bouddhiste, si François l’avait voulu. Ses convictions n’en furent pas moins solides, elles eurent comme assises sa première amitié, elles se trouvèrent à l’image de celui qui lui apportait l’attention et la mélodie. Tout ce que disait Rougemont se grava comme l’alphabet dans le crâne d’un enfant ; ce fut pesant, ce fut indestructible : Étienne se bourra d’aphorismes qui, avec moins de souplesse et plus de monotonie, eurent le ton, le mouvement, la couleur de l’original. L’homme épais secouait gaiement sa peau trop large ; il riait tout seul dans son antre ; il rendait des hommages plus tendres à sa matelassière et même il lui fit cadeau d’une jupe de pilou gris pigeon, dont le bord était parcouru de joyeuses arabesques en laine rouge.


Il fut plus facile encore de conquérir Hippolyte Gourjat, dit la Trompette de Jéricho. Cette conquête se fît presque en une seule séance. Un après-midi, François, venu très tôt aux Enfants de la Rochelle, y trouva Gourjat amer, jaunâtre et convulsé. D’innombrables injures de Philippine, vomies devant les fenêtres ouvertes, pour l’exultation de la rue, lui avaient tourné le cœur. Pêle-mêle, l’oncle mort dans un « hospice de mendiants », l’haleine qui rancissait le beurre, la transpiration qui pourrissait les chemises, l’odeur du tan, la putréfaction des orteils, ornèrent le discours de la femme. Hippolyte se bouchait les oreilles avec deux serviettes ; la sueur cou-