Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/147

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riable. Il y a des vieux et des jeunes, des faibles et des forts, des grands et des petits, des malades et des bien portants, des malins et des bêtes, des veinards et des malchanceux, des hommes et des chevaux… pourquoi n’y aurait-il pas des pauvres et des riches ?

— Voyons ! aboyait Dutilleul, vous pensez pourtant qu’il y a des injustices ?

— Pour sûr ! S’il n’y avait pas d’injustices, il n’y aurait pas de justice !

— Pourquoi êtes-vous ouvrier ferblantier et pourquoi Bridoux est-il patron ? Bridoux n’est qu’un salaud.

La plupart du temps, Meulière ne répondait rien. Ou bien il lançait de brefs aphorismes. Une fois, pourtant, il sortit sa pensée :

— C’est toujours la même répétition. Pourquoi êtes-vous batailleur et pourquoi M. Fallandres est-il frileux ? Moi, je vois que ça recommence. On a fait la grande Révolution, puis l’empereur Napoléon, puis deux autres révolutions, et encore un empereur, et l’Alsace et la Lorraine et les communards. Et puis, quoi ? Est-ce que c’est arrangé ? C’est vous-mêmes qui dites que non. Y aura encore une révolution ? Puis un empereur ? Qu’est-ce que t’en sais ? Ceux de la grande Révolution, est-ce que c’étaient des bêtes ? Et ceux de la Commune ? Y se sont pourtant salement trompés. Moi, je ne suis qu’une tourte. Vous n’allez pas me faire croire que je comprendrai comment c’est fait, la machine du gouvernement ? Alors faudra que je m’en rapporte à vous, que je croie à votre parole d’honneur ? Pourquoi donc ? Je peux aussi bien croire Tarmouche ou Paul Déroulède…

Son propre discours l’effara. Il se mit à rire à l’étouffée :

— Vous m’avez donné votre mal ! Je vas devenir un prêcheur.