Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/146

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un salaud, tu es un salaud, nous sommes des salauds. On sort de la mouscaille et on y rentre, on est vivant et on est déjà pourri. Quèque tu veux que ça nous fasse, les syndicats, la révolution, l’Internationale ? De la mouscaille, comme le reste ! Veux-tu m’acheter de la moutarde ? Ou bien de la bière Félix ? Ou bien du millet, du maïs, de la graine de lin ? Il faut que je bouffe et que je boive. Et ça me fera plaisir le jour où j’aurai mon bon pour le fossoyeur… Mais pour la chose de ton bonheur universel, tu ne m’as pas regardé ? Rasé comme un cul de singe, et rien à faire ! Tu me donnerais la place du père Loubet, je n’en serais pas moins rasé ! Et toi aussi, rasé, et tous rasés, graine de foutus et foutus depuis le commencement du monde. Il n’y a rien. Et quand il n’y a rien, rien à faire. Moi, je vois clair, je suis malin, je suis sage… je n’aime rien, je n’aime pas les hommes, je me vante de ne pas m’aimer moi-même. Non ! mais la solidarité ! La poule syndicale ! Le lapin communiste !…

Il ne variait guère, sauf que, les jours où il avait sa mesure, il n’achevait plus ses mots et multipliait les « culs de singe ». François, d’ailleurs, ne s’y acharna guère ; après peu de jours, il savait que le vieux crâne ne vivrait plus que des idées fragmentaires qui s’y étaient incrustées et qui ne supportaient pas d’intruses.

Il fallut aussi renoncer à convaincre le père Meulière. Ce ferblantier écoutait avec attention, il souriait, en amateur, aux passages éloquents, mais, lorsqu’il était interrogé par Dutilleul ou la Trompette, il plissait ses petits yeux vert-de-gris :

— C’est toujours la même répétition !

Ces mots condensaient sa sagesse et l’éclairaient sur les plus intimes des sensations. C’était un « rien de nouveau sous le soleil » ou un nil admirari de pauvre homme. Tout recommence. Les fleuves et les idées suivent leur cours, et ce cours est inva-