Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/174

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fédération générale et des syndicats contre les misérables qui vous bafouent, vous épuisent et vous torturent. Les terrassiers ont magnifiquement rempli leur devoir, ils vont triompher, ils triomphent déjà. Sera-t-il dit que vous aurez retardé ce beau triomphe ?

Les dernières méfiances s’évaporèrent avec l’odeur des alcools. Des promesses ardentes emplirent les cervelles, les craintes se métamorphosèrent en révolte ; l’instinct des bonheurs collectifs, des joies de troupeau, tourbillonna dans les âmes ; il s’éleva une clameur croassante qui retentit par-dessus les tranchées et les palissades. Une foule se déversait vers le marchand de vins, foule de terrassiers et d’ouvriers du bâtiment, attirée par les affiches ou les palabres, et mêlée de rôdeurs, de voyous, d’écoliers, de ménagères.

Dutilleul et ses Six Hommes élevaient leurs triques comme des sabres, Isidore Pouraille hennit en tendant son absinthe vers le plafond, Alfred le Rouge soulevait à bras tendu une jeune personne hystérique, Armand Bossange et quelques antimilitaristes tapaient le ban avec leurs pieds et des soucoupes. Ce fut la Trompette de Jéricho qui déchaîna la tempête. Il commença par conspuer Jacquin, Bizard et Marneton, en simulant le braiment successif de trois ânes, dont chacun décelait un âge différent, puis il entonna :

« Jacquin, Bizard s’étaient promis
D’en fair’ de la chair à profit
Mais leurs calculs sont vains,
La force est dans nos mains…
Dansons la Carmagnole… »

— Le tour des chantiers ! brailla Dutilleul en vidant son verre.

Il se mit en route, avec une lenteur sévère, escorté par les Six Hommes. Tous les verres montèrent aux lèvres, puis les bras se nouèrent, la Carmagnole