Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/176

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— Oui ! oui ! clamèrent les autres avec une foi véhémente. Faut que le citoyen Rougemont lui enfonce son rivet !

La mission déplut à François : il savait, par l’expérience de toute sa vie, que la même éloquence qui exalte le peuple offense, effraye ou met en fureur le bourgeois. Mais l’enthousiasme qui se répandit à travers les Enfants de la Rochelle rendait un refus impossible. Il se soumit à ses disciples. Et le lendemain matin, il allait trouver Flammant.

Ce Flammant, surnommé la Limande, à cause de son torse invraisemblablement aplati, promenait sur les choses et les êtres un regard de perroquet, rond, malicieux et avisé. Un feutre pâle ombrageait ses joues, qu’il avait fort longues et un peu farineuses. Dès qu’il n’avait rien à faire, il tournait et retournait son petit doigt dans le trou d’une oreille. C’était un individu traînard. Lorsqu’il fallait se tenir debout, il cherchait de l’œil un mur ou un meuble pour s’étayer. Oisif d’apparence, il travaillait beaucoup ; il était pingre et bénévole, la pingrerie dominant toutefois la bénévolence.


Il reçut François cauteleusement et ne lui regarda d’abord que les pieds, avec persistance. Quand le révolutionnaire eut exposé l’objet de sa visite, il répondit, apathique :

— Il me semble que ça ne vous regarde pas. J’ai déjà assez affaire avec leur sacré syndicat.

— En principe, vous avez raison ; ça ne me regarde pas. Mais si vos ouvriers choisissent un délégué, il doit vous être assez indifférent que ce soit moi ou un autre.

Flammant réfléchit et, détachant ses yeux des bottines, il les éleva presque vivement vers le visage du propagandiste :

— Ça ne m’est pas indifférent. Je trouve que c’est