Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/179

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hommes ne fera jamais fortune, tandis que vous…

— Je ferai fortune, c’est possible. À la condition que je ne me ruine pas en route. Et je ne vous cache pas que j’ai été trois ou quatre fois sur le chemin de la ruine. Vous autres, socialistes, et surtout les excitateurs de votre farine, ne consentirez jamais à voir que tout patron qui arrive suppose dix patrons qui succombent. Vous n’avez d’yeux que pour les exploiteurs enrichis, mais les exploiteurs malheureux, on dirait que ça n’existe pas. C’est pourtant eux la majorité. Ceux qui font fortune sont une infime exception.

— Je ne plains pas ceux qui succombent : ils n’ont que ce qu’ils méritent.

— Soit ! Je ne demande ni pour ceux-là ni pour les autres le prix Montyon. Mais fichtre !… vos imbéciles d’ouvriers n’ont aussi que ce qu’ils méritent.

— Ce sont des victimes !

— Ce sont des moules.

— Il me semble que nous tournons autour du pot.

— Vous m’y faites tourner. J’ai voulu répondre à vos allégations, et j’ai eu tort, car c’est comme si je parlais à la roue de cent mètres ! Reprenons la question. Vous m’accusez d’être infidèle à un contrat. Je le nie. Je réponds à l’infidélité par l’infidélité. Que mes ouvriers cessent le sabotage, qu’ils consentent à faire à peu près leur besogne, et dans quinze jours les renards auront quitté la maison.

Rougemont écoutait avec maussaderie. Il lui fallait s’en tenir à une défensive affaiblie, sacrifier son rôle d’orateur à son rôle diplomatique. Les conclusions de Flammant choquaient son amour-propre ; elles comportaient une transaction habile et fort acceptable à laquelle le révolutionnaire n’avait pas coopéré. En somme, l’entrepreneur se servait habilement de l’intermédiaire et n’avait, à aucun mo-