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Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/19

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moitié d’une gorgée. Puis, irrité et joyeux, il affirma :

— Si les éboulés claquent, ça sera la faute des entrepreneurs et de personne d’autre !

— Est-ce qu’on peut savoir ? fit doucement un personnage d’aspect socratique, Jules Castaigne, dit Thomas. Je dis qu’on ne peut pas tout prévoir. La terre est rosse ; on a beau la connaître, y a toujours un moment où elle est plus forte que toutes les bricoles.

— Eh va donc ! foutu jaune, ricana Pouraille. Si mon cousin avale le goujon, c’est les exploiteurs qui l’auront crevé. Pas la peine de les excuser ! Je les connais dans les coins : si y n’avaient pas besoin de nous, y ne penseraient qu’à nous faire mitrailler !

L’homme secoua sa barbe et murmura :

— Il a raison ; il n’y a rien de commun entre nous et les bourgeois !

C’étaient d’antiques paroles. Les plus jeunes les avaient entendues mille fois. Mais il y a la manière. L’homme tournait, au-dessus des têtes, une face grave, têtue et mystérieuse. Son regard brûlait, large et d’une sincérité impressionnante. Il excitait la curiosité par un geste dont la rareté soulignait la force.

— Non ! répéta-t-il en haussant la voix, les exploiteurs et les ouvriers ne peuvent pas s’entendre et ne doivent pas s’entendre. Ce serait contre nature !

— Pourquoi ? demanda Castaigne. C’est comme si on disait que c’est contre nature de graisser une machine.

— C’est comme si je disais, répliqua l’autre avec emphase, que les hommes et les chevaux ne peuvent pas s’entendre ! Le cheval n’a qu’à se soumettre, l’homme n’a qu’à commander. Il serait ridicule qu’il en fût autrement.

— Tu n’es pas flatteur pour nous, reprit Thomas. Si on est des chevaux, pour sûr qu’il n’y a rien à