Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/20

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

faire. Mais si on est des hommes comme les capitalistes, on peut s’entendre. Ça se tire de ta propre comparaison.

— Si nous sommes des hommes, nous n’avons qu’une chose à faire, c’est de le prouver. Et nous ne l’aurons vraiment prouvé que le jour où nous cesserons de travailler comme des bêtes de somme.

— Je ne dis pas que nous n’ayons pas à lutter pour un meilleur sort. C’est notre droit et notre devoir. Je demande seulement pourquoi nous ne pourrions pas arriver à une entente. Pourquoi ne serions-nous pas à la fois capitalistes et ouvriers ?

— Je l’ai dit, répéta tranquillement l’homme. Parce que c’est contre nature.

Il s’était levé ; il semblait regarder très loin, dans l’ombre extérieure, par-dessus la Butte-aux-Cailles.

— C’est contre nature, appuya-t-il, parce que notre instinct, comme l’instinct des bêtes dont nous descendons, est de garder par la force ce qui a été conquis ou de prendre par la force. Si nous nous adressons aux exploiteurs, il est impossible que nous ne soyons pas trompés et bafoués. Quand eux-mêmes voudraient mieux faire, ils ne le pourraient pas. La position qu’ils tiennent, et qu’ils doivent défendre, les y condamne. S’il en était autrement, depuis le temps où nos pères ont levé le drapeau du socialisme, les bourgeois auraient amélioré notre sort. Beaucoup ont été pavés de bonnes intentions ; beaucoup ont pleurniché sur la misère du travailleur ; beaucoup ont prêché l’aide au peuple. Le résultat, c’est que le capitaliste n’a pas désarmé une minute, qu’il nous a bernés sans arrêt, qu’il nous opprime autant et peut-être plus que jadis.

— Il y a progrès ! affirma Castaigne.

— Peut-être. Mais c’est à nous seuls que nous le devons. C’est à nos grèves, c’est à nos réclamations, c’est à la crainte que nous inspirons, c’est grâce encore aux disputes des partis, aux luttes qui