Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/190

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les temps orageux, elles s’abattaient en brumes puantes, étreignaient les arbres, aveuglaient les façades, stagnaient comme des mares et croupissaient aux creux de la vallée. Toujours elles évoquaient une puissance implacable, malsaine et dévoratrice. Les forges vivaient joyeusement de la chair ouvrière. La révolte échouait au seuil de leurs sombres halls. Ceux qui pétrissent le fer et rôtissent leurs faces à la gueule des fournaises, s’aplatissaient devant les maîtres. Leurs cœurs étaient muets, leurs volontés débiles… Pendant longtemps encore, Marsan, Krebs et Cie régneraient dans leur flamboyant royaume.

Ces forges enfiévraient François. Leur activité diabolique, leurs ronflements et leurs sursauts éveillaient dans son âme un sourd enthousiasme. Il les aimait et les exécrait. Au sortir des trains d’Arpajon ou de Sceaux, il allait attendre les ouvriers, sommait leur nombre, évaluait leur fatigue. Il y avait des syndiqués révolutionnaires, mais la plupart étaient des renards ou des jaunes. Marsan, Krebs et Cie exigeaient dix heures de travail, en toute saison, et acquittaient des salaires médiocres. Toutefois, ils consentaient la haute paye aux hommes habiles et rétribuaient libéralement les coups de collier.

Là s’exerçait pleinement l’activité de Deslandes : les deux tiers des jaunes appartenaient à son groupe ; il les avait réunis en un syndicat dont les statuts permettaient une grande souplesse d’action et d’attitude. La maison Marsan et Krebs était son corps de bataille ; il comptait sur elle pour grouper et nourrir l’élite de ses effectifs.

Chez Delaborde aussi, François retrouvait l’influence du contremaître. Là, du moins, les révolutionnaires tenaient la tête. Mais les brocheuses, pour la plupart, se dérobaient à l’action syndicale et une dizaine d’ouvriers prétendaient échapper à toute en-