Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/193

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

nature. Jamais le travail ne lui parut une punition. Il attaquait la matière et les machines d’une main nerveuse, d’une volonté mystique ; il ne croyait pas à l’injustice des patrons, il excusait leur rapacité comme un mal aussi inévitable que la faim et la soif. Mais il ne les reconnaissait pas comme une autorité sans conteste : il fallait à la fois s’entendre avec eux et les combattre, les forcer à étendre leur industrie et à mêler l’ouvrier aux entreprises. Quand ils manquaient de vigilance, qu’ils se montraient faibles de caractère ou vicieux, il les méprisait.

Longtemps ses idées furent obscures ; l’instinct seul le conduisait. S’il n’avait eu maille à partir avec des révolutionnaires, peut-être se fût-il borné à sa tâche et, presque à coup sûr, il aurait fait fortune. Quelques disputes l’exaspérèrent. Il potassa le socialisme et l’économie politique ; un système crût en lui et s’enracina : plein de mépris pour toute théorie où l’on séparait les patrons des ouvriers, les hiérarchies de classe lui furent odieuses et lui parurent ridicules ; il ne voulut voir que la défaite ou la victoire des individus : le patron doit favoriser avec éclat les hommes adroits, sincères et énergiques ; l’ouvrier exigera la justice et se refusera aux tâches qui débilitent la race ; il participera aux bénéfices.

Marcel Deslandes envisageait de vastes coalitions ouvrières s’acharnant à faire déchoir les patrons maladroits, indolents ou rétrogrades, assurant la domination des plus aptes, détruisant les erreurs de la chance. Une telle œuvre est irréalisable sans ces ferments d’initiative et d’originalité que crée l’espérance de faire fortune et d’imposer son vouloir aux imbéciles. Il concédait qu’une société communiste peut donner un certain bien-être — le plus lâche, le plus veule, le plus plat, le plus méprisable des bien-êtres. Mais la guerre ingénieuse et l’entente sévère donneraient comme minimum ce que le com-