Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/196

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aussi d’un grand sens des réalités, elle savait que les brevets ne donnent aucune fortune. Et elle voulait la fortune. Elle la voulait par appétit de victoire, elle la voulait aussi pour satisfaire son idéal d’ordre et d’harmonie en créant des ateliers où elle établirait la méthode capable à la fois de ronger le système capitaliste moderne et d’endiguer le communisme. Elle avait un sens aigu du rôle des minorités : si elles savent forger leurs armes, instituer les disciplines, se créer une forte existence de fait, le reste viendra par surcroît.


Les rencontres du mécanicien et de Rougemont étaient rares. Ils échangeaient des paroles d’une extrême sécheresse et d’une politesse minutieuse. L’hostilité ne serait pas née spontanément chez le révolutionnaire. Quoiqu’il n’aimât pas ces natures âpres, que tourmente une activité presque féroce, il les supportait, cependant ; il se bornait à les combattre par ses paroles. L’attitude de Deslandes l’indisposa : il endurait avec humeur la haine des regards, le « hachis » de paroles brèves et sybillines. Sans Christine, il aurait usé de sa supériorité verbale pour humilier cet orgueil. Mais elle excitait en lui une curiosité profonde ; il s’irritait de ce charme mêlé à une énergie et une intelligence qu’il jugeait excessives et presque scandaleuses chez une jeune fille.

Il la rencontrait parfois chez les Garrigues. Elle aimait ces gens simples, sans autre raison que l’obscur instinct des prédilections dont l’incohérence nous déconcerte. Sans doute, y eut-il, à l’origine, des circonstances favorables, des joies, des rêves, une parole dite à l’heure brillante, un aspect bien fixé dans la mémoire, une coïncidence, une mélodie. L’intimité remontait, ce semble, à un crépuscule d’été.

Des nuages immenses cuivraient et soufraient l’oc-