Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/202

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

muscade qui me racle derrière l’oreille. Ces gens de l’Équateur ont bien de la chance !

La vieille Antoinette s’était arrêtée. Elle approuvait. Elle aussi connaissait les outils mystérieux et les bêtes malignes qui liment, scient, rongent, mordent, martèlent, pincent, écrasent une pauvre tête humaine. Ah ! douleur, voix de la chair appelant vers le dieu de la conscience, prière de l’inconscient !

— C’est bien vrai, marmonna-t-elle. La migraine c’est un vrai calvaire. Il y a des jours où j’en suis aveugle, où ça ne m’étonnerait pas de voir ma tête se fendre comme une bouteille et tomber en pièces dans mes casseroles. C’est une grande épreuve.

Le petit Antoine le savait déjà : le mal héréditaire lui malaxait parfois les méninges. Il connaissait des heures où le monde se couvre d’un voile étrange où sa vie de petit enfant cessait d’être une suite de repas, de jeux, d’événements frais et de sensations savoureuses. La douleur lui donnait de la vieillesse. Il sentait des choses pesantes et hostiles, ses cahiers devenaient plus tristes, il demeurait les coudes sur la table, la tête sur ses petits poings, sachant que l’ennemi était implacable.

— Oui, reprit Charles Garrigues, la souffrance c’est quelque chose qui vous mange. J’attends ma migraine comme j’attendrais un lion ou un tigre. Je sais bien quand elle approche. C’est d’abord un paquet de sang dans le front ou dans la nuque… mes yeux sont tristes. Et je n’échapperai pas ! Elle tourne, elle m’agrippe, elle me tord la tempe, j’en ai pour douze à dix-huit heures. C’est vraiment bien mystérieux.

— C’est-à-dire que c’est terrible ! soupira la vieille Antoinette.

— Oh ! oui, murmura le petit Antoine en faisant contre son front un geste épouvanté.