Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/201

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côte, jusqu’au bout de la route. Elle ne tromperait point, elle ne mentirait point, elle donnerait sa beauté une seule fois et pour toujours. Quelle sécurité, quelle paix dans le destin, dans la vocation et dans le travail ! Toute cette liberté sexuelle que François aimait à défendre et même à exalter, devenait une petite chose honteuse, répugnante, riche en mensonges, en sales luttes de mâles, en avilissements de femelles… Il comprenait que l’homme eût voulu y échapper en environnant le mariage de sainteté, de serments, de devoirs uniques, jusqu’à le rendre indissoluble !

Il se secoua. Oui ! durable et presque sacré, mais avec Christine et un homme de même argile. Les autres, tristes épaves, corps misérables ou cervelles flottantes, menteuses et menteurs, trompeurs et trompeuses, folles ou avares, quel sacrement peut les souder ?


À ce moment, Charles Garrigues leva la tête. Il avait les yeux noyés de lecture. Son visage à pans se plissait dans un sourire inachevé. Quelque chose de ridicule et d’excellent, d’énigmatique et de joyeux s’exhalait de toute sa personne :

— J’aurais voulu naître, dit-il, dans la République de l’Équateur.

— Pourquoi ? fit distraitement François.

— La température y change à peine. Il y a des plateaux où elle ne dépasse guère vingt degrés en été, où elle ne descend pas au-dessous de dix-huit en hiver. J’y aurais vécu heureux.

Il fit craquer ses articulations chétives et poursuivit :

— Je suis un homme qui dépend du temps. Quand il fait trop chaud, je n’ai plus d’estomac, ma tête pèse cent kilos, ma cervelle est une friture. Quand il fait froid, j’ai un vilebrequin qui me tourne dans la tempe gauche ou bien une râpe à