Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/205

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— C’est poser l’hygiène comme une chose trop difficile et ne faire aucun crédit à la médecine. C’est surtout ne pas tenir compte de l’état anormal de nos sociétés.

— Cet état anormal dure depuis que les hommes se sont tassés dans une caverne, dans un village lacustre, dans une enceinte quelconque. Il ne finira point ou c’est l’humanité qui finira.

— Mais non ! Il n’est pas nécessaire que les hommes des villes respirent un air vicié, il n’est pas nécessaire que les uns s’atrophient par les privations et que les autres pourrissent par les excès, que les uns dépérissent par le surmenage et que les autres s’abrutissent par la paresse.

— Les hommes des villes respireront un air plus sain, du moins je l’espère. La nourriture sera plus accessible et de meilleure qualité, l’intempérance deviendra plus rare, le surmenage des travailleurs manuels tendra à disparaître. Et qu’est-ce à dire ? Nous débarrasserons ainsi tout simplement la société d’une série de misères surannées. Cela signifie-t-il que ces misères n’aient pas été une des fatalités du monde humain ? Nous sommes, ou nous nous croyons à la veille de les anéantir, mais pourquoi imaginez-vous que les Égyptiens, les Grecs, les Romains, nos gens du Moyen Âge, notre Europe de la Renaissance et des temps modernes, les Chinois, les Japonais, les Hindous, les Arabes, les Turcs, aient formé des sociétés anormales ? Elles étaient ce qu’elles pouvaient être. Elles avaient le genre de prévoyance et de solidarité qui résultait de leur intelligence et de leurs instincts, elles n’étaient pas plus anormales que la forêt, la brousse, la mer, où les êtres s’entredévorent. Dites qu’elles étaient insuffisantes, si vous voulez, quoique cela ne signifie pas grand’chose, ne dites pas qu’elles étaient anormales. Si des conditions subies par des milliards de créatures, en vérité par l’immense majorité des hommes, sont