Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/207

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Je n’ai prétendu parler ni des anciens, ni des Turcs, ni des Chinois, mais de notre société industrielle contemporaine. Je répète qu’elle est anormale. En moins d’un siècle, elle a rempli les villes et les usines d’une population énorme soutirée aux champs. Il y a des pays où les campagnes ont perdu jusqu’aux trois cinquièmes de leurs habitants : l’Angleterre, la Saxe, la Belgique ; dans d’autres, elles en ont vu disparaître la moitié ou le tiers. Ce n’est plus là une évolution, c’est une catastrophe. On a empilé brusquement des races habituées au plein air dans des ateliers, des fabriques, des usines puantes, on a privé d’air, de lumière, de loisir, deux ou trois cents millions d’hommes, de femmes et d’enfants arrachés aux champs et aux pâturages, où leurs ancêtres vivaient depuis les siècles des siècles. Si vous ne trouvez pas ça anormal, qu’est-ce qui est anormal ?

— Ce n’est pas plus anormal que le développement industriel même qui a déterminé ces exodes, pas plus anormal que le mouvement scientifique qui a créé ce développement industriel, pas plus anormal que l’énorme colonisation qui a suivi la découverte du Nouveau-Monde, pas plus anormal que la foudroyante conquête musulmane, pendant la vie et surtout après la mort de Mahomet. La vie de l’humanité est pleine de ces bonds. Fatalement, ils donnent lieu à des adaptations difficiles.

— Eh bien, soit ! s’exclama François avec impatience, je ne tiens pas au terme. Je dirai, si vous préférez, que nos sociétés se trouvent dans un mauvais état d’équilibre. Elles sont entrées fougueusement dans l’ère industrielle, sans avoir pris les précautions utiles. Privées d’air, soumises à un travail intensif et démoralisant, exploitées sans mesure, étiolées dans des logis fétides, empoisonnées par l’alcool, d’immenses multitudes ouvrières ont contracté des tares inconnues à leurs ancêtres, ou du