Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/224

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humaine, au contraire, le soi-disant fort jouit d’un nombre illimité de privilèges ! Il peut être un imbécile, un maladroit, un vieillard cacochyme, voire un enfant à la mamelle. Il suffit qu’il soit le possesseur de ce qu’on nomme, selon le milieu, de l’argent, un matelas, de la galette, du pèze. Et pour avoir l’argent, le matelas, la galette, le pèze, il est tout à fait inutile qu’on ait fait quelque chose. Il suffit de naître fils à papa. Neuf fois sur dix, la richesse individuelle n’a pas d’autre source. C’est pourtant elle qui classe les êtres, qui nous divise en riches et en pauvres, en patrons et ouvriers, en maîtres et domestiques. Et c’est par une pure fiction ! Cette fiction, camarades, c’est la loi bourgeoise. Elle protège celui qui a l’argent, elle lui en garantit la jouissance par l’appareil imposant des juges, des gendarmes et des sergents de ville, auxquels on joindra l’armée, s’il le faut… Grâce à cette fiction, il vous faut trimer et vous abrutir : vous serez honnis, humiliés, misérables. Vous donnerez vos plus belles filles à la haute prostitution et vos plus malheureuses au trottoir ; vous sacrifierez votre intelligence, votre adresse et votre énergie au profit de vos parasites — sans même que cela serve sérieusement au bonheur ni au bien-être desdits parasites. Oui, camarades, la société où nous végétons a ceci de particulièrement sinistre que votre misère est inutile. Vous ne mangez pas à votre faim, vous avez froid l’hiver et vous vous abrutissez pour rien ! Car il serait facile de donner à tous le bien-être, facile de procurer à chacun les éléments de la santé, du bonheur et de la sécurité, facile de ne pas vous condamner à chercher votre nourriture comme des bêtes. L’humanité actuelle est en possession de forces immenses, presque inépuisables. Avec un peu de sagesse, la science nous permettrait de quintupler la production des aliments, des habits, des objets manufacturés. Il suffirait qu’on les demande.