Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/236

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qu’il y a là quelque chose d’effroyable… Eh bien ! la Confédération générale du travail a compris que c’est contre notre servage qu’il fallait tout d’abord employer les forces révolutionnaires. Et non seulement à cause de la fatigue musculaire, mais encore, mais surtout à cause de la dépression intellectuelle. La réforme sociale est avant tout affaire de raison, de savoir et d’ingéniosité. Plus nous disposerons de cerveaux aptes à réfléchir et à combiner, de têtes bien meublées, plus près serons-nous de la victoire. Oui, avant tout, il nous faut un prolétariat intelligent. Sinon, nous travaillerons au hasard, et nos conquêtes nous seront reprises. Or, le cerveau d’un homme qui a peiné dix ou douze heures ne peut fonctionner que très imparfaitement : pour avoir des cerveaux actifs, il faut du loisir. De là, l’importance capitale de la question des huit heures. Si elle ne pouvait se résoudre, la révolution serait renvoyée aux calendes.

Qu’on n’aille pas cependant conclure de mes paroles que je ne vois ici qu’une question de lutte. J’y vois aussi une question d’hygiène, de dignité et de bonheur immédiat. La journée plus courte permettra à l’ouvrier de s’occuper davantage de lui-même et des siens ; elle lui donnera une conscience plus exacte et moins humiliée de sa personne ; elle lui permettra de jouir un peu de la vie… de cette vie si brève et qui ne revient pas deux fois. Un homme exténué, qui a tout juste le temps d’aller dévorer sa pitance, ignore ce qu’il y a de charmant dans le simple spectacle des scènes quotidiennes. Comment voulez-vous qu’il s’intéresse aux monuments, aux jardins, aux rues, aux champs, à la forêt, comment voulez-vous qu’il goûte ces rêveries si douces qui naissent de l’harmonie des êtres et des milieux ?

Aux applaudissements agressifs des collectivistes, les jaunes opposèrent une attitude dédaigneuse. Le Déroulède cria :