Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/238

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— Ah ! oui, question profonde et redoutable ! Nul plus que moi n’en a été troublé. Car je ne suis pas de ces internationalistes téméraires qui renient leur pays. J’aime ma terre de France. Du reste, beaucoup de ceux qui croient aimer également les peuples se font illusion. Un Allemand se plie à des habitudes, à des règles, à des goûts mêmes qui ne sont pas les siens. Un Français, non. Un Français répudie la domination morale ou physique des autres races ; et la raison en est assez simple : n’est-il pas, après tout, le plus civilisé des hommes et le moins grossier. Voyez-vous, camarades, il serait affreux de vivre sous le joug des Allemands ou des Anglais. Même si le salaire était meilleur, la vie matérielle plus facile, nous ne pourrions le supporter. Nous ne sommes sans doute pas les plus énergiques des habitants de la planète, mais nous en sommes les plus délicats. Aucun bonheur ne nous serait possible si le milieu où nous vivons n’était plus le nôtre.

Les Jaunes approuvèrent avec une frénésie ironique :

— Vous vous servez dans notre assiette ! tonna le sculpteur Barrois.

— Il a tourné casaque !

— Vous allez voir si j’ai tourné casaque ! fit sardoniquement l’orateur.

Et tourné vers la loge jaune, il reprit :

— Donc, pour faire notre bonheur parfait, il nous faut la terre de France. Mais qui oserait dire que nous, les pauvres, soyons autre chose sur cette terre que de la viande à souffrance et de la viande à caserne ! Le pire Prussien, pourvu qu’il dispose de la pièce de cent sous, n’y est-il pas supérieur au malheureux bougre qui rôde les poches vides ? Tous les plaisirs, toute la beauté, tout le luxe, nos plus belles filles, appartiendront au cosmopolite riche : il possède la baguette de l’enchanteur. Toi, si tu