Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/241

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des siècles, l’Italie qui ne compte pas ses défaites, est devenue une nation libre ! C’est qu’elle est peuplée par une race bien nette, bien définie, sur laquelle l’étranger n’a pu imprimer sa marque. La France asservie, elle, la plus intelligente des nations, elle qui a le plus agi sur les esprits et sur les cœurs ! Allons donc ! ce n’est pas possible… cela n’arrivera point ! Et si cela devait arriver, ce ne sont pas les armées qui y apporteraient obstacle. La défaite de nos troupes, je le dis avec mélancolie mais avec la force de la vérité, cette défaite serait presque certaine, car nous n’avons plus le tempérament grossier des peuples militaires. Et les peuples qui hurleraient d’indignation si l’on démembrait une France désarmée, laisseraient déchoir une France guerrière : elle ne serait qu’un pays comme les autres… Aussi, je le répète sans scrupule : il faut que nous donnions le magnifique exemple du désarmement. Alors seulement nous serons une nation aimée et admirée parmi les nations, alors seulement, tous les cœurs se tourneront vers nous, alors seulement, l’idée qu’on puisse toucher à la France paraîtra un sacrilège tel qu’aucun tyran ne s’y risquerait !…

Le délire reprit. La loge jaune poussa des mugissements si rudes que François dut s’interrompre :

— On va leur casser la gueule ! cria Dutilleul.

Les Six Hommes se précipitèrent, trique haute : le charcutier Varang, les deux Sambregoy, le Déroulède, se préparaient au combat. Mais Christine, le visage hardi et les yeux fiers, intimida les Six Hommes, tandis que Rougemont s’écriait avec véhémence :

— Citoyen Dutilleul, vous faites le jeu de nos adversaires !

Dutilleul recula en grondant ; les Six Hommes baissèrent leur triques ; l’orateur reprit avec rudesse :