Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/244

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— Ousqu’y se cache, le jaune ? cria un maréchal ferrant couvert de limaille.

— Il a la frousse !

— Faites-le donc voir, eh ! Combelard !

— Donnez-lui du vulnéraire.


Deslandes apparut brusquement, serré dans son complet veston, long, maigre, agile et hardi :

— Me voilà ! fit-il avec un rire sec.

Les ricanements et les bravos, s’entreheurtèrent. Combelard avait saisi sa sonnette. Il lança deux volées et déclara :

— N’oubliez pas, camarades, que nous avons promis d’écouter le citoyen Deslandes jusqu’au bout !

— Je n’en demande pas tant, gouailla Deslandes. Quelques grognements ne sont pas pour me déplaire, pourvu qu’on écoute dans les intervalles.

Puis, reprenant son air froid et dur :

— Nous allons bien voir si les révolutionnaires sont capables de tenir parole !

Il se recueillit, la tête basse, puis relevant ses yeux faits pour braver la foule et non pour la conquérir, il parla sèchement :

— L’orateur que vous venez d’entendre vous a expliqué, à sa manière, la condition du prolétariat contemporain. Il vous a, une fois de plus, dépeint le travailleur comme un pauvre diable sacrifié à des conditions économiques féroces et le patron comme un mangeur de chair humaine. Il envoie bien le couplet et je crois même qu’il est sincère. Au fond, il vous sert la même viande creuse que les socialistes parlementaires. En dressant l’un devant l’autre l’exploiteur et l’exploité, en faisant du second une victime et de l’autre un bourreau, il nous montre qu’il comprend le mécanisme de la société comme un poète et non pas comme un sociologue. À l’entendre, une société serait une créa-