Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/266

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vers les cheminées de l’usine électrique, vers le faubourg noir et caverneux.

— C’est vrai ! répondit Rougemont, attendri de tout ce que la jeune voix décelait de fraîcheur, de confiance, d’espoirs sans bornes, de passion pour la vie. Ça vaut la peine de sacrifier quelques heures de sommeil. Je ne connais rien de plus beau, de plus profond et de plus terrible. J’ai passé la nuit dans des forêts, parmi des marécages, sur des lacs ; j’ai grimpé dans les Alpes, j’ai navigué sur l’Atlantique, et j’ai vu que l’œuvre des hommes est aussi grandiose que celle de la nature… ou plutôt je ne sépare pas l’une de l’autre. Je vois dans l’humanité un produit des énergies inépuisables qui font rouler la terre, se tasser les montagnes, pousser les chênes et hurler l’ouragan. Ce morceau de Paris, où s’entasse la grandeur de nos semblables, doit faire palpiter les artistes autant que la chute du Rhin à Schaffouse.


Il s’animait, heureux d’exalter ces cœurs neufs. Ses mots s’enfonçaient dans le cerveau de Bossange avec des retentissements de tonnerre et des douceurs d’avrillée ; ils y prenaient une qualité supérieure, plus fine, plus brillante, transfigurés par une mentalité de poète.

— N’est-ce pas ? N’est-ce pas ? s’écriait le jeune homme. Quelque chose ici mérite de faire battre nos cœurs, quelque chose de très triste et de très grand, un effort dont la puissance et la mélancolie doivent nous remplir de respect. Vous venez de me faire comprendre ce que je n’arrivais pas à m’exprimer à moi-même !

— Bien ça, camarade ! fit le meneur en mettant la main sur l’épaule d’Armand, qui trembla d’orgueil. La grandeur et la tristesse, c’est la vraie signification de ce paysage… La grandeur de l’effort et du génie, une synthèse de ce que notre vieille huma-