Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/275

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frère, mais tu pourrais réagir. Il suffirait que tu appliques aux événements cette même fatalité que tu appliques à ta nature. Les choses qu’on considère comme inévitables, on les accepte, on cesse d’en souffrir. Vois-tu, il ne fallait pas tenter de lutte oratoire avec François Rougemont.

— Parce que j’étais sûr d’être battu ? fit-il avec amertume.

— Parce que tu étais sûr d’avoir, inutilement, le rôle désagréable.

— Celui du mauvais orateur ! cria-t-il avec un halètement d’amour-propre.

— Tu es un excellent orateur, mais pas un entraîneur de foules : tu les méprises et elles le sentent. À Paris, à moins de faire rigoureusement la salle d’avance, ceux de notre opinion doivent s’attendre à être conspués.

— Raison de plus pour organiser la lutte.

— C’est la désorganiser que d’accepter des réunions contradictoires. Il s’y passera ce qui s’est passé hier, avec ou sans bagarre. On perd son temps. Il faut faire ce que tu fais depuis quatre ans, un travail de recrutement et de discipline.

Il écoutait, le front barré. Sa haine, un instant assoupie, se levait en tumulte. Il revoyait non seulement la séance de la veille, mais toute la propagande victorieuse de Rougemont.

— Quand je fais une recrue — Dieu sait au prix de quels efforts ! — il en fait dix sans peine.

— T’en étonnerais-tu ? Tu sais bien qu’il a pour lui l’heure et les circonstances ! Il lui suffit de paraître. Tandis que toi, chaque fois que tu convaincs, tu fais une œuvre profonde, tu retournes complètement une âme… Ta part est la plus belle. À ta place, je ne me sentirais pas vaincu du tout… Je me dirais que les triomphes mêmes de nos adversaires tourneront en notre faveur. Ils travaillent dans les ténèbres. Les réformes qu’ils réclament, ils n’en