Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/28

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chait autour des nez en poivrière. Ils ouvraient des yeux concaves, et comme tapissés de suie, des lèvres grenues, couleur de foie chez la vieille femme, fraise des bois chez l’homme et merise chez l’enfant. Une moustache poussiéreuse, pareille à un rouleau de fils de la Vierge, chenillait sur la lèvre de l’homme ; la femme, à la même place, montrait une mousse falote. Tous trois avaient du poil de brebis sur la tête, vieil argent chez l’une, tabac turc chez l’autre, et presque citron chez le troisième. Leurs mains, d’une structure fine et d’une mobilité expressive, allongeaient des doigts rouges ; ils avaient les épaules en pente de toit, les muscles maigres et rapides.

— On ne t’attendait plus, mon François, dit la vieille en se jetant à son cou.

Tandis qu’il rendait l’étreinte, elle pleurait joyeusement. François, par contagion, avait les yeux humides, et l’enfant se jetait à corps perdu sur le groupe, haletant comme un jeune chien :

— On est content de te revoir !… On est content ! On est content !

Pour dissiper l’attendrissement, François éleva le garçonnet dans ses bras :

— Eh bien, mon petit révolté, tu es heureux de vivre ? Demain, je t’apporterai un nouveau jouet : la danse des bourgeois.

Il s’était assis dans un fauteuil qu’ornait un nombre prodigieux de clous de cuivre :

— Je me suis attardé, à cause de trois pauvres diables enterrés par un éboulement.

— As-tu dîné ?

— J’ai cassé une croûte vers quatre heures. Tout bien considéré, j’ai faim.

Il contemplait l’enfant, avec des yeux graves et persuasifs de meneur d’hommes.

— Tu seras un bon socialiste, pas, petit Antoine ? Tu aimeras les hommes ; tu ne sépareras pas ta vie