Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/29

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de celle des autres, comme un Robinson de l’égoïsme. Vive la révolution !

— Vive la révolution ! cria l’enfant.

— Voilà l’avenir, dit François Rougemont, en calant le petit sur ses genoux. Celui-là verra luire la grande aube, l’aube d’une humanité aussi différente de la nôtre que la nôtre est différente de l’humanité des pyramides. Ah ! mon petit homme, tu connaîtras des choses à côté desquelles la vapeur, l’électricité, le radium ne sont que de la bistrouille. Tu verras l’homme dans sa beauté, car il n’aura plus faim — et il y a cent mille ans qu’il a faim. Il n’aura plus faim, il aura toute sa force ! Il n’aura plus faim, il pourra déployer tout son génie. Il n’aura plus faim, il construira sous la mer des métro qui iront d’un continent à l’autre, et ses aéroplanes rempliront le firmament ; il n’aura plus faim, et il bâtira des villes de contes de fées, avec des prairies et des forêts sur les toits, avec des ponts de verre sur les rues, avec des ascenseurs à tous les tournants ; il n’aura plus faim, et il tirera des énergies immenses du soleil, de l’océan et du sein chaud de la terre. Ah ! mon petit garçon, dans quels jardins d’enchanteur tu vas vivre !

Le petit écoutait, hypnotisé ; Charles Garrigues et la grand’mère avaient des frissons de bien-être : un luxe lumineux passait sur les âmes. Tout à coup, une crécelle crépita ; puis on entendit une sonnerie, le pépiement d’un moineau, un trille de merle :

— Mais c’est le geai !… s’exclama Rougemont.

Dans une cage d’osier, un oiseau bleu-ténèbres agitait avec frénésie l’éventail de ses ailes. François ouvrit la prison ; le geai bondit sur sa tête, puis sur son épaule. Ses yeux ronds phosphoraient de malice ; il trépignait, il donnait des coups de bec dans la barbe du syndicaliste.

— Lui aussi est joliment content de te revoir !