Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/291

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mouillait la racine de ses cheveux, les discours de Rougemont et de Bossange rôdaient en lui comme des bêtes fauves.

À la fin d’août, il se décida à chercher son homme. Il allait le long des fortifications jusqu’à Bercy et jusqu’au Point-du-Jour. Il prit même quelques jours de congé ; il assista à des exercices, dans l’espoir de rencontrer un personnage grossier, de figure antipathique : il préférait que ce fût un lieutenant ou un capitaine, plutôt qu’un sergent. Mais s’il trouva maintes faces bougonnes ou méprisantes, il demeura longtemps sans découvrir un brutal. Enfin, les circonstances le servirent : un après-midi, il assista à une scène violente — dont il n’avait pas vu les débuts. Un lieutenant jaune, sec, aux joues maladives, aux yeux vairons, l’un vert d’eau et l’autre feuille morte, injuriait un bleu :

— Vous êtes un cochon, oui, une crapule, une de ces crapules qu’on devrait fusiller sur l’heure…

Le soldat, petit homme aux regards dansants, le visage fuligineux, le nez poreux comme une pierre ponce, était blême, avec un léger rictus, qui découvrait des dents de mouton. L’officier avait levé la main. Mais il reprit empire sur lui-même, ses mâchoires se contractèrent, et il congédia l’homme.

Casselles demeura là cinq minutes. Il ne savait pas, il ne devait jamais savoir quelle était l’origine de la scène. Son opinion se fit sans rémission, d’après la face, les gestes, la voix du lieutenant. Il s’en retourna pensif ; pendant plusieurs jours, il mit ses affaires en ordre et même, quoiqu’il n’eût guère d’économies, il rédigea son testament.

En apparence, rien n’était changé dans sa vie : il alla ponctuellement à son bureau, assista aux réunions de la Jeunesse antimilitariste et du Club d’études communistes, accompagna ses amis un dimanche dans la forêt de Fontainebleau. En même temps, il épiait le lieutenant qui se trouva être un