Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/301

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Alfred imaginait un policier plein d’un flair exécrable et d’une diabolique astuce, qui relevait la piste, allait venir, frapper à la porte et pousser son cri sinistre : « Au nom de la loi… » Alors, la destinée serait close.

« Et comment cela serait-il possible ? En supposant qu’ils parlent, ils ne me connaissent pas plus qu’ils ne connaissent le juge, le commissaire ni les agents. Comment suivraient-ils mes pas le long des rues ? J’ai bien regardé : personne ne me dévisageait. »

À mesure qu’il les articulait, les paroles devenaient plus douteuses. Peut-être les passants l’avaient-ils remarqué à leur propre insu. Il allait vite ; la frayeur lui pétrissait le visage, saccadait sa démarche, affolait son regard. Et des gens du quartier avaient pu l’épier qui, dès que paraîtraient les journaux du soir, songeraient à lui. N’était-il pas connu pour ses opinions antimilitaristes ?

Le feu et la glace alternaient dans ses artères. Chaque preuve parut décisive… Il fallait jeter le poignard et le revolver. Mais non !… on les retrouverait à coup sûr, et l’armurier aiderait à suivre la piste. Soudain, il songea que la terre humide avait dû retenir l’empreinte de ses chaussures… C’était un témoignage irrécusable. Son imagination ne vit plus que le creux des semelles imprimé, telle une signature hiéroglyphe, à côté du cadavre.

— Il faut que ces bottines disparaissent ! gémit-il.

Il les prit sur la planche où il les avait déposées, il les examina. C’étaient de vieilles chaussures gauchies, aux talons usés en dehors, aux semelles amincies. Leur trace devait être caractéristique et, vérifiée, ne laisserait aucune incertitude. Il les enveloppa avec fièvre dans un journal, se chaussa de bottines neuves et se disposa à sortir.

Il ne l’osa pas tout de suite : il redoutait d’entendre craquer la porte, de voir l’escalier, de rencontrer un locataire ou d’être aperçu par la con-