Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/302

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cierge. L’horripilation houlait dans sa chevelure et dans les poils de sa poitrine ; sa gorge sécha, ses oreilles sifflèrent. Enfin, il se décida. Quoiqu’il regardât fixement devant lui, il voyait tout : trois petites filles jouaient au volant devant la porte de Cingembre ; des gamins poursuivaient une partie de barres dans un terrain vague surnommé la Prairie ; au coin de la rue Louise, Mme Potelard entretenait la mère Mottet ; sur le seuil des Petitpierre, Gustave Vibraye faisait la cour à la jeune Clémentine qui secouait une chevelure aussi rouge que le feuillage des vignes vierges, en automne. Casselles passa, la nuque si raide qu’elle semblait paralysée, et descendit par la rue Brillat-Savarin.

À chaque nouveau terrain, il s’apprêtait à lancer ses chaussures, mais il lui semblait entendre un pas, voir une silhouette, ou encore il n’osait point : dès qu’il les aurait lâchées, quelqu’un viendrait les saisir et les porterait chez un commissaire. À la fin, il se trouva rue des Peupliers, devant une clôture pourrie, pleine de trous et de déchiquetures : sur un sol montueux, s’étalaient des ferrailles, des tessons de bouteilles, des débris de poterie, de la paille, du papier, des fragments de vieux chapeaux, quelques godillots fendus, bâillants et couverts de moisissure.

— Je ne trouverai pas mieux.

Il jeta autour de lui un long regard trouble. Le soir tombait, la rue était déserte, la maison la plus proche montrait des fenêtres closes : il n’y luisait qu’une seule lumière, rougeâtre et débile. D’autres lueurs se répondaient, sur les façades lointaines, tandis que s’allumaient des rampes de réverbères. Casselles supposa des yeux derrière les vitres, sur les pentes ou parmi les clôtures. Il fit un premier pas pour repartir. Une grande révolte le saisit contre soi-même : fermant les yeux, avec des mains moites, vacillantes, il défit le journal, jeta les bottines à