Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/304

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

harasser la bête. Les trottoirs s’écoulèrent devant ses prunelles hallucinées ; des créatures le frôlaient, brumeuses, chaotiques, intangibles. Dans la rue des Écoles, un cri déchira son oreille :

La Presse, demandez la Presse… importantes nouvelles.

Il paya précipitamment une des feuilles ; les yeux pleins d’une vapeur dansante, il lisait, il relisait la manchette :

Dépêches d’Algésiras. — Assassinat d’un officier aux fortifications.

Après beaucoup de temps, il se décida à « balayer » le récit du meurtre :


« Un crime affreux a été commis, dans le courant de l’après-midi, à Grenelle, près des fortifications, à quelques centaines de mètres à peine d’un poste-caserne. Ce forfait a été accompli avec une vigueur, une adresse et une audace qui semblent dénoter que son auteur n’en est pas à son coup d’essai. La victime, le lieutenant Chassang, du 10e de ligne, officier du plus brillant avenir, a été frappé de trois coups de couteau ou de poignard dans le dos. Deux de ces coups étaient mortels, et l’examen du cadavre démontre que la mort du malheureux lieutenant a dû être très rapide sinon instantanée. On a pu relever les traces des chaussures du meurtrier sur le sol, mais on n’a malheureusement pu les suivre. On se perd en conjectures sur les mobiles de cet assassinat. Le lieutenant Chassang n’avait pas d’ennemis, quoiqu’il menât une existence un peu solitaire ; c’était un chef strict, qui tenait la main à ce que la discipline fût respectée parmi ses hommes, mais qui punissait rarement et jamais avec excès. On a retrouvé sur lui son porte-monnaie et sa montre, ce qui paraît écarter l’hypothèse du vol.

« À la Sûreté, on garde le silence sur l’opinion de la police, mais on semble être sur une piste.