Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/306

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camarades emplit presque seul son imagination. Trouvant le véhicule trop lent, il descendit au boulevard d’Italie et prit par la rue Bobillot. Le silence et la pénombre l’enveloppèrent ; par le terroir sauvage, entre les usines, les chantiers et les cahutes, il atteignit enfin les Enfants de la Rochelle. Ayant traversé le jardin, avec un horrible battement de cœur, il parut au seuil du club antimilitariste.

La séance était tumultueuse : on offrait un punch à Anselme Perregault qui devait, le lendemain, repartir pour la caserne. Le soldat, en bras de chemise, malgré la fraîcheur du soir, hurlait une chanson où quelque obscénité alternait avec les revendications et les menaces ; tous répétaient le refrain en donnant des coups de poing rythmiques sur les tables. Anselme avait les joues chaudes, les yeux flambants et crapuleux. L’entrée de Casselles n’interrompit pas la clameur.


Et de voir qu’il n’attirait pas plus l’attention que d’habitude, ce fut, pour Casselles, une douceur attendrissante. La chanson s’arrêta, les mains se tendirent vers le survenant. Anselme cria :

— T’as vu la nouvelle, mon vieux ? On a suriné une de ces crapules de galonnés, aux fortifs ! Pour du bon travail, c’est du bon travail !

Alfred hocha la tête, la gorge si sèche et si dure qu’aucune parole n’aurait pu en sortir. Personne ne remarqua son trouble, et, tandis qu’il s’affalait, on se remit à discuter l’affaire. Les deux Perregault affirmaient que c’était la vengeance d’un subordonné ; Émile conjecturait un attentat anarchiste, Voissière une affaire passionnelle, tandis que Gustave y discernait la main d’un apache. Armand Bossange ne se prononçait point ; le crime lui semblait étrange et d’une nature mystérieuse ; il n’était pas loin d’y voir l’acte d’un fou. La plupart, en