Page:Rosny aîné - La Vague rouge.djvu/321

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d’indispensable : elle devenait le fond des existences, le sens secret des phénomènes.

L’expérience séculaire et la propre expérience de François semblaient des choses extérieures, qui ne s’appliquaient aucunement à son mal. L’homme qui guérirait était un autre homme que celui qui souffrait, un être objectif dont il ne trouvait pas la ressemblance dans sa propre personne.

Cependant, le rythme de sa passion se fit plus lent et plus uniforme. Ses souvenirs n’apparaissaient plus en images fulgurantes ; il les ressassait longuement, avec des répétitions régulières comme des refrains. C’était encore plus intolérable. Car un dégoût morne emplissait sa poitrine ; la vie s’étendait plate, nue, désertique. Il avait en quelque sorte perdu son double. Même ses convictions apparaissaient chétives, l’avenir humain semblait une chimère d’enfants, la souffrance des prolétaires une inquiétude de fourmis autour d’une motte de terre. Et il avait aussi l’impression d’être « pris ». Il ne retrouvait plus les gestes du passé ; il faisait des gestes de captif, des gestes d’homme qui traîne des liens et un fardeau.


Cette période fut suivie d’une agitation nouvelle.

Il eut cette peur de soi-même que les optimistes ignorent jusque dans leur vieillesse. Parfois il songeait à revoir Christine et à plaider encore sa cause : une éloquence fraîche naissait avec toute espèce de renouveaux. Mais il lui suffit de voir, au sortir de l’atelier, la jeune fille avec Deslandes, pour sentir la vanité du verbe.

Puis, un autre espoir se mit à croître. Il ne renonça pas à Christine, il compta sur le jeu des circonstances, il se donna du temps pour la conquérir. Et sans doute cela concordait avec l’in-