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XIV


François Rougemont s’en allait, portant son mal, avec l’étonnement qui se mêle aux peines d’amour plus encore qu’aux autres peines. Il se sentait hors la loi profonde. Christine contenait tout ce qu’il préférait dans l’univers, et aussi tout ce qui l’exilait et le bafouait. D’être recrue de fatigue et de tristesse, son âme ne savait plus que ressasser sa défaite. Cette défaite s’associait à toutes les circonstances de la rue, à chaque mouvement des choses ; elle brûlait avec le soleil couchant, fuyait avec la foule le long des avenues, se retrouvait dans une fleur écrasée au bord du trottoir, la plainte d’un chien blessé, le crincrin des violons, le clapotement de la pluie.

Il ne pouvait rester en place ; il retournait sans cesse vers ces quais où il avait senti la métamorphose ; là, sans lassitude, il regardait couler le fleuve ou défiler les nuages. La défaite s’élevait du couchant, parmi les escadres d’argent et les troupeaux roussâtres, suivait les vagues glauques, les remous boueux, les écumes entremêlées de feuilles, de brindilles, de coquilles, et paraissait sans fin comme cette eau qui ne cessait de couler depuis les millénaires, comme ces vapeurs qui vont abreuver les glaciers et les pâturages. Elle faisait tellement partie de sa personne qu’il ne voyait que la mort pour l’en guérir. L’image de Christine venait le ressaisir, non comme il voulait, mais comme elle voulait ! Même dans l’affliction, elle avait quelque chose